Et si la transe pouvait aider à guérir ?
Alice Guyon, après avoir été directrice de recherches au CNRS à Sophia Antipolis, travaille à présent sur les états modifiés de conscience dans un centre de recherche en neurosciences à Marseille, ainsi que sur l’évaluation des moyens non-médicamenteux d’améliorer la santé
Calme, souriante, le regard lumineux, Alice Guyon a mis toutes ses compétences au service de la santé de l’être humain et de son harmonie avec la nature. Après avoir effectué durant des décennies des recherches au plus haut niveau sur le cerveau et sur les médicaments, ce sont à présent les moyens non médicamenteux d’améliorer sa santé qui l’intriguent et qui sont devenus son principal objet d’études. Directrice de recherches au CNRS, au Centre de recherche en psychologie et neurosciences (CRPN) à Marseillle, elle travaille notamment sur les perspectives thérapeutiques que pourrait ouvrir la transe.
Pratiquée depuis la nuit des temps, la transe est devenue un sujet de recherches scientifiques qui prend de l’ampleur depuis
que Corine Sombrun (1), cette ethno-musicologue initiée au chamanisme en Mongolie, a suscité des recherches neurologiques sur les états qu’elle est parvenue à provoquer et à vivre elle-même sans l’aide de tambours, ce qu’on appelle « transe cognitive auto-induite (TCAI) ».
Transe, hypnose, méditation, rêves lucides…
Alice Guyon s’intéresse actuellement aux états modifiés de conscience (EMC) et à leurs possibilités thérapeutiques. Ces états peuvent être éprouvés dans la transe, l’hypnose, la méditation, la relaxation profonde, les rêves lucides, ou encore les expériences de mort imminente.
Soulager les troubles de stress post-traumatique
Alice Guyon mène plusieurs recherches en parallèle. L’une de ses études concerne les effets de trois EMC (méditation, hypnose et TCAI) sur différents aspects de la mémoire par une approche transdisciplinaire, dans l’idée, à terme, de pouvoir utiliser ces états chez les personnes atteintes de trouble de stress post-traumatique.
Un de ses étudiants, Siddhiraj Banjac, psychologue à l’hôpital de Perpignan, travaille sur les effets bénéfiques possibles d’une relaxation méditative sur des patients atteints de sclérose en plaques. Durant l’épidémie de Covid 19, cet étudiant avait constaté les bénéfices de cette pratique sur les soignants de l’hôpital. Une des étudiantes d’Alice Guyon, Stéphanie Ibanez, s’intéresse, de son côté, aux effets de la TCAI sur la voix, la réduction du stress et la qualité de vie des enseignants.
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1-Son histoire a inspiré en 2019 le film Un monde plus grand, adapté de ses livres Journal d’une apprentie chamane, Mon initiation chez les chamanes, Les Tribulations d’une chamane à Paris, Les Esprits de la steppe.https://trancescience.org/fr/
Les états modifiés de conscience peuvent être obtenus dans différentes situations, notamment les danses des derviches tourneurs. (Photo libre de droits Aysin)
Les transes sont étudiées scientifiquement depuis peu. Celles que C. Sombrun déclenche seule dérivent des transes chamaniques, mais sans tambour. (Photo libre de droits Odin Reyna)
Les effets déjà constatés de la transe
Dans le film Un monde plus grand, Cécile de France incarne Corine Sombrun, saisie par une transe et qui devient chamane en Mongolie, puis sujet de recherches.
Pour étudier le cerveau durant la transe, des électrodes sont fixées sur le crâne des patients.
(Photo libre de droits Simon Fraser University Communications & Marketing)
En 2017, l’étude scientifique canadienne du professeur Pierre Flor-Henry sur les transes de Corine Sombrun montre des tracés faisant écho dans les bandes de fréquences bêta à ceux d’autres femmes souffrant de manie, de dépression ou de schizophrénie. Mais l’état de Corine n’avait rien de pathologique, son cerveau revenant à la normale une fois la transe finie.
Libération de l’inconscient ?
Durant la transe, l’hémisphère droit, siège de la créativité, de l’imagination ainsi que des émotions, prend le dessus. Le cortex préfrontal, siège notamment du langage, du raisonnement, du contrôle de soi et de l’action consciente, est un peu inhibé. La transmission électrique entre neurones était par ailleurs plus rapide durant la transe qu’en état de conscience ordinaire.
Force décuplée, douleurs réduites, gestes inhabituels…
« Nos forces sont décuplées, la sensation de douleur diminue, la perception du temps est modifiée et nous réalisons des gestes qui échappent à notre mode de décision habituel », décrit Corine Sombrun. Le corps libère des opioïdes qui peuvent expliquer l’affaiblissement de la douleur.
Des applications thérapeutiques ?
Des applications thérapeutiques sont-elles possibles ? Le professeur Francis Taulelle, cofondateur avec Corine Sombrun de l’institut « Trance Science » en 2019, est parvenu à remobiliser son bassin au cours de sa première transe, alors qu’il était partiellement paralysé après une compression médullaire. Il a même pu retrouver une motricité totale après un apprentissage. Il a fait l’hypothèse « que la transe amplifie certains potentiels d’autoguérison en permettant au cerveau de lever l’inhibition de circuits neuronaux subconscients ».
Des moyens non-médicamenteux d’aller mieux
Curieuse de tout et attentive aux autres, Alice Guyon consacre depuis près de vingt-cinq ans sa vie professionnelle au bon fonctionnement du système nerveux. Devenue chercheuse à plein temps à l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire du CNRS à Sophia Antipolis alors qu’elle avait une trentaine d’années, elle a commencé par étudier les effets neurologiques de différentes substances médicamenteuses dans plusieurs pathologies comme des épilepsies, la maladie de Parkinson, les troubles du comportement alimentaire, ou la dépression. Elle s’est peu à peu consacrée principalement à la dépression, dont souffrait l’un de ses proches.
Sensibilisée par les bienfaits sur elle-même de la pratique du yoga, de la sophrologie, du taïchi et de la méditation, elle a cherché à comprendre scientifiquement leurs mécanismes d’action et à étudier leurs effets sur différentes pathologies pour voir si elles pourraient être intégrées dans des parcours de soins.
« Notre santé dépend de nous à 70 % »
« Chacun de nous est le premier acteur de sa santé. Elle dépend à 70 % de nos pratiques et de notre environnement. Et nous sommes aussi acteurs de notre environnement », a-t-elle encore insisté le week-end des 6,7,8 septembre 2024 lors de sa conférence lors d’un colloque ouvert au public à Mouans-Sartoux, dans les Alpes-Maritimes (lire ci-dessous). « Enrichir son environnement » par de bonnes pratiques contribue fortement à se porter mieux, c’est maintenant prouvé scientifiquement. « Beaucoup d’affections souvent chroniques (obésité, diabètes, problèmes vasculaires, asthme, anxiété, dépression…) peuvent être évités par des pratiques préventives qui relèvent du simple bon sens : l’exercice physique, la connexion avec les autres et avec la nature, un bon sommeil, une bonne respiration, une bonne nutrition, une bonne hygiène physique et mentale en évitant au maximum la pollution et le stress », poursuit Alice.
Interactions entre les systèmes nerveux, immunitaire et hormonal
« Nos systèmes nerveux, immunitaire et hormonal interagissent. Toutes nos cellules ont des récepteurs au cortisol, une des hormones du stress qui peut causer des dommages si celui-ci est maintenu à des concentrations trop importantes trop longtemps dans le sang. L’inflammation chronique rend plus poreuses les parois de nos vaisseaux sanguins cérébraux, laissant diffuser des molécules plus grosses qui peuvent être nocives pour le cerveau et les autres organes. Inversement, certains de nos globules blancs, nos principaux défenseurs immunitaires, peuvent avoir un effet sur la dépression et améliorer l’apprentissage ». Les cellules immunitaires peuvent détecter des signaux nerveux, et réciproquement, les neurones peuvent répondre à des substances produites par le système immunitaire.
Une réalité parfois invisible
La science et l’existence poussent à se poser bien des questions. « Nous ne percevons qu’une petite partie de la réalité. Par exemple, nous ne voyons ni les infrarouges, ni les ultraviolets, et nous n’entendons pas les ultrasons, qui existent bel et bien. La partie du monde que nous percevons n’est qu’une infime partie du réel, filtrée par les limitations de nos organes sensoriels et par notre cerveau, lui-même forgé par nos expériences. »
-Livre : Comment enrichir son environnement pour aller mieux par Alice Guyon, 2019, aux éditions Ovadia, 20 €
-Site Internet : https://aliceguyon.wixsite.com/sitepro
Santé intégrative et santé globale
Depuis 2018, Alice Guyon a décidé d’arrêter l’expérimentation animale et de se tourner vers des études cliniques afin d’étudier scientifiquement les effets de plusieurs approches non conventionnelles et complémentaires. Elle a suivi un diplôme universitaire de méditation et pleine conscience-approche en santé intégrative (1), a intégré l’Observatoire des médecines complémentaires et non conventionnelles de Nice (OMCNC) en 2018 (2), a dirigé pendant deux ans le pôle recherche de la NPIS, société savante sur les Interventions non médicamenteuses (3), et a participé activement au développement à l’Alliance de la Santé Intégrative (4). Elle est depuis janvier 2024 directrice de publication de la revue de santé intégrative HEGEL qu’on peut trouver sur cairn.info (5).
Elle se préoccupe de la « santé globale »,
qui repose sur la conscience des liens étroits entre la santé humaine, animale et environnementale (6). Une nature qu’elle magnifie dans ses poèmes, ses peintures, ses gravures, sa danse, et à qui elle rend aussi grâce en jouant de la musique. Comme elle l’a fait en accompagnant à la trompette les variations au didjeridoo (7) du paléo-anthropologue André Marro en intermède lors du colloque de Mouans-Sartoux.
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1-Médecine et conception de la santé prenant en compte l’individu dans sa globalité, sans se focaliser sur la maladie. Pour cela, elle associe la prévention, la médecine conventionnelle et des médecines complémentaires.
2- Site de l’OMCNC : https://www.omcnc.fr/
3- Site de la NPIS : https://npisociety.org/
4- Site de l’Alliance de la Santé Intégrative sur lequel on peut accéder au livre blanc de la Santé intégrative rédigé par les membres de l’Alliance : https://alliancedelasi.wixsite.com/alliance-si
5- Revue de Santé Intégrative HEGEL (acronyme de Heathcare, Environment, Global Health, Ethics and ciences, Lifestyle) : https://shs.cairn.info/revue-hegel
6- Elle a cosigné en 2021 avec d’autres scientifiques une Lettre ouverte pour une Côte d’Azur saine, durable et solidaire alertant les élus et décisionnaires locaux et faisant des propositions.
7-Instrument de musique des Aborigènes australiens, creusé dans une longue branche d’eucalyptus, et émettant un son très grave.
Au colloque Arts et pensée de Mouans-Sartoux
« Ce qui influence notre santé », voilà qui nous concerne tous. C’est le sujet qu’a abordé Alice Guyon devant le grand public au colloque « Art cerveau » 2024 à à Mouans-Sartoux le 7 septembre 2024.
Chaque année, ce colloque organisé par l’association « Arts, science et pensée » permet à tous d’écouter des artistes, des scientifiques et d’autres spécialistes sur des sujets qui touchent notre vie… mais aussi à ceux-ci d’échanger entre eux et au public de leur poser des questions et de les rencontrer. Cette année, une quarantaine de conférences auront développé la réflexion sur le thème très actuel des influences.
En 34 années d’existence, le colloque aura vu une foule d’intervenants souvent très connus (1) aborder autant de thèmes les plus divers comme le regard, le pouvoir, la transmission, l’être humain numérique, l’audace, l’incertitude, le futur, le double, la complexité, l’existence, l’harmonie, le jeu…
En deux jours et demi, ce colloque interdisciplinaire soutenu depuis ses débuts par le célèbre neuropsychiatre Boris Cyrulnik, aura exploré le cerveau et l’être humain dans tous leurs états : arts, sciences, mémoire, conscience, activité physique, santé, économie, droit, philosophie… à la lumière des réflexions et des dernières découvertes d’experts. Le tout émaillé d’humour, d’ouverture, d’écoute, d’échanges, de bienveillance… et de musique !
1-Parmi eux, les plasticiens Arman, Ben, Opalka , Sosno Folon, Topor… les photographes André Villers, David Douglas-Duncan ; l’écrivain-scénariste Jean-Claude Carrière ; le commissaire-priseur Pierre Cornette de Saint-Cyr ; le chanteur Salvatore Adamo, le médecin et homme politique Jean-François Mattei ; l’écrivain Alain Robbe-Grillet ; le violoniste Ivry Gitlis ; le comédien Georges Descrières ; le collectionneur d’art Adrien Maeght ; l’économiste et conseiller politique Jacques Attali ; l’animatrice de radio Brigitte Lahaie ; le journaliste Franz-Olivier Giesbert ; le directeur de théâtre Daniel Benoin…